{ If You Knew - PV }

Le cours de piano de Hanabi était terminé, et il ne voulait pas rentrer chez lui tout de suite. Il sortit tranquillement du Conservatoire de musique, congédia poliment la limousine noire qui l’attendait devant. Il avait envie de marcher un peu, pour une fois. L’air était tiède, un peu parfumé. Une légère brise caressait son front et balayait ses mèches noires devant ses yeux.

Il était étrange de voir que l’on remarque beaucoup plus de choses quand on marche, plutôt que quand on est confortablement installé dans une belle berline noire qui roule à toute allure sur la route en bitume, le long de l’allée bordée de cerisiers qui conduit à la ville. Le jeune homme, son cartable de musique sous le bras. Son uniforme, plus négligé, lui donnait l’air mélancolique. Le visage de Hanabi était étrangement fermé. Il ne se sentait pas en forme ces derniers temps, et les difficultés qu’il rencontrait au piano et dans sa vie sentimentale n’étaient pas pour lui remonter le moral. Bref, ce n’était pas la joie.

Le jeune homme arriva dans les quartiers commerçants de Tokyo. C’était vraiment une ville incroyable. Il y a encore quelques minutes, il était dans un parc privilégié, et maintenant, il se trouvait dans une ville ultramoderne. Hanabi se sentit soudain encore plus insignifiant. Il était si anonyme, il n’existait pas. Le jeune homme eut un serrement au cœur. Que lui arrivait-il ? Il était déprimé en ce moment. Ca ne lui ressemblait pas du tout. Et son frère lui manquait. Il alla s’asseoir à un café, sortant son portable et laissant un message sur le répondeur de son frère chéri.

« Moshi moshi, Ao-chan. Si tu pouvais me rejoindre au café Délices du Monde, ce serait bien … J’ai envie de te parler, Ao-chan. »

Hanabi s’installa à la table du café, commandant un cappuccino. C’était son café préféré. A chaque fois qu’il en buvait, un flot de souvenirs l’assaillait. La première fois qu’il avait trempé ses lèvres dans ce breuvage magique, c’était en Italie. La famille Dosanko était alors descendue à l’hôtel Pennsylvania de Rome. Si vous ne savez pas ce qu’est un Pennsylvania, on se demande ce que vous faites à Eitoku. C’est juste l’un des hôtels les plus luxueux et les plus chers du monde. Bref. Hanabi et Aozora avaient alors douze ans, et Hanabi avait commandé un capuccino, curieux de savoir quel goût ça avait. Finalement, il en était tombé sous le charme, il était accro, à même titre que les accros de la cigarette ou de la drogue.

La jolie serveuse lui apporta son café et il répondit à son sourire par un rictus déformé. Il n’arrivait plus à sourire. Le jeune homme se passa la main dans les cheveux, attendant son frère. Lui seul comprendrait. Hanabi en était persuadé : après tout, ils avaient toujours tout partagé, ils partageaient les mêmes idées, les mêmes pensées. Le jeune pianiste poussa un soupir, terminant son capuccino, non sans regarder son portable toutes les trois minutes si Aozora avait répondu. Hanabi s’étira. Il avait vraiment besoin de défouler ses nerfs sur quelque chose. Ou quelqu’un. Si par exemple un membre du D4 passait par là, il n’aurait pas hésité à lui sauter dessus, mais aucune snob à l’horizon. Dommage. C’aurait été un plaisir de leur rendre la monnaie de leur pièce.

Naïf Hanabi. S’il savait ce qui l’attendait dans quelques minutes … Il n’aurait pas tiré cette tête d’enterrement, ça, c’est sûr. Il releva la tête, apercevant une silhouette familière qui arrivait dans sa direction. Une ébauche de sourire s’esquissa sur les lèvres du jeune pianiste :

« Onii-chan … »

Son frère. Son alter ego, la seule personne en qui Hana avait une totale confiance. Ils étaient sur la même longueur d’onde, bien que très différents caractériellement. L’un était survolté, l’autre calme, l’un silencieux, l’autre exubérant … Mais ils se complétaient totalement. Et c’était sans doute pour cela qu’ils s’aimaient tant. Pour Hanabi, Aozora était tout. Le timide Dosanko esquissa un sourire à la vue de son frère. Il faisait pâle figure à côté d’Aozora, si chaleureux. Mais Hanabi n’avait pas la tête à sourire. Il n’y arriva même pas quand son frère plaisanta.

« Personne, Onii-sama. Personne. »

Si Hanabi aurait pu dire « Tue-moi », il l’aurait fait. Mais c’était impensable. On ne dit pas des choses pareilles en présence de son frère jumeau, qui vous surprotège et qui grogne dès qu’on vous approche. Hanabi regarda son frère se lever, il allait sûrement se commander un truc alcoolisé, chose qu’Hanabi détestait. Il n’était pas du tout dans cette optique qu’était « On ne peut s’amuser qu’avec de l’alcool et de l’héro ». De toutes façons, il n’était invité à aucune fête, alors il ne risquait pas de se bourrer la gueule. Le jeune homme se passa la main dans les cheveux, et releva la tête, son regard de velours tombant sur une silhouette bien trop familière. Les prunelles d’Hanabi s’écarquillèrent, il se mit à trembler.

Quand il était entré à Eitoku, Shun n’avait pas laissé Hanabi indifférent. D’abord, il l’avait détesté, pour ce qu’il avait fait, et ce qu’il continuait à faire subir aux Dosanko. Shun était son ennemi, et tout ce qui touchait au D4, Hanabi le haïssait de tout son être. Mais Shun ne manquait pas de charme et de charisme, et Hanabi s’était vite retrouvé pris au piège, à chemin entre la fascination et la haine. Hanabi ne put détacher son regard de Shun, qui ne le voyait pas ou du moins, ne se doutait pas qu’il était l’objet d’une hypnose bien réelle. A chaque fois que Hanabi regardait le chef du Diamond4, quelque chose naissait en lui, un sentiment lourd et confus, qui le prenait aux tripes. Hanabi n’aurait pas su l’expliquer, et ou alors, ne voulait pas affronter la vérité en face. Le jeune homme rencontra alors le regard d’encre de son ennemi et il détourna les yeux, conscient des rougeurs qui coloraient ses joues pâles. Il se trouvait stupide. Stupide de ne pas avoir le courage pour affronter Shun. Stupide d’être aussi timide.

*Idiot, idiot ! Il va en profiter … Ce type est capable de mettre un Carton Rouge parce que j’ai croisé son regard.*

Hanabi termina son café, honteux, les joues toujours rouges. Est-ce que Shun le regardait à cet instant ? Il n’avait pas le courage de relever la tête pour le voir. Et s’il croisait à nouveau le regard d’encre … Une boule se forma dans le ventre d’Hanabi, et de nouveau, ce sentiment confus et désordonné qui parcourait tout son corps, cette envie de se rapprocher, de toucher les longs cils qui ourlaient ce regard si noir. Hanabi se mordit la lèvre inférieure. Il fallait qu’il arrête, il avait déjà assez de soucis comme ça pour que cet abruti de Shun en rajoute.